- Analyses
Entretien avec le Dr Nicole Hunter [responsable des services internationaux de réglementation et de validation] et Claire Hutchison [spécialiste des sciences de la vie] de Watson-Marlow Fluid Technology Solutions
La révision par la Commission européenne de l’annexe 1 des bonnes pratiques de fabrication (BPF) pour les produits pharmaceutiques stériles a été publiée en août 2022, après 14 ans de mise au point. Les modifications proposées seront mises en œuvre un an après leur publication, ou deux ans pour la section 8.123 sur la stérilisation des lyophilisateurs, laissant ainsi aux professionnels de l’industrie pharmaceutique le temps de comprendre les différentes implications et d'appliquer les mesures supplémentaires. Mais quelle est la teneur des changements et quels seront leurs impacts sur l’industrie ?
La révision inclut des changements dans plusieurs domaines de la fabrication pharmaceutique, notamment la gestion des risques, l’hygiène du personnel, la surveillance environnementale et la garantie de la stérilité. Cette révision harmonise les principes de fabrication de médicaments stériles avec ceux de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et les normes de fabrication de médicaments stériles du Pharmaceutical Inspection Cooperation Scheme (PIC/S), et s’aligne davantage sur les directives de 2004 de la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis concernant les produits pharmaceutiques stériles obtenus par production aseptique. Les modifications comprennent une nouvelle section sur les systèmes de qualité pharmaceutique, intégrant les principes de la gestion du risque qualité (GRQ) dans la fabrication de médicaments stériles ; une nouvelle section traitant du concept de « contamination control strategy » (CCS) dans la réduction de la contamination ; et des sections intégrant les progrès récents de la technologie de traitement stérile en fabrication, tels que les systèmes de barrières à accès restreint (RABS) et les isolateurs.
L’accent mis sur le contrôle de la contamination et les technologies de traitement stérile signifie qu’il y aura probablement une augmentation de la demande de solutions plug and play permettant aux fabricants de répondre aux nouvelles exigences avec un minimum d’efforts. Nous avons rencontré Claire Hutchison et Nicole Hunter de Watson-Marlow pour connaître leur point de vue sur le rôle des systèmes à usage unique dans la satisfaction des exigences des bonnes pratiques de fabrication.
1. Quel sera l’impact des changements proposés sur les entreprises pharmaceutiques qui fabriquent des produits stériles et ces modifications nécessiteront-elles des investissements importants ?
Nicole Hunter : L’industrie pharmaceutique a considérablement évolué au cours des 14 années écoulées depuis la dernière révision des grands principes des bonnes pratiques de fabrication et l’essor des nouvelles thérapies biologiques a dépassé les exigences actuelles en matière de BPF. De nombreuses entreprises pharmaceutiques auront donc travaillé en étroite collaboration avec les autorités chargées de la réglementation afin de mettre en place leurs propres mesures de sécurité et de contrôle de la contamination. Ces nouvelles révisions des BPF sont le fruit d’une vaste consultation des autorités chargées de la réglementation et des industriels. Les entreprises devront donc veiller à ce que leurs process soient conformes, mais nombre d’entre elles répondront déjà à ces besoins ou ne nécessiteront que des modifications minimes.
Le test d’intégrité avant utilisation et après stérilisation (PUPSIT) est probablement la nouvelle exigence de l’annexe 1 révisée ayant fait l’objet du plus grand nombre de discussions. De nombreux fabricants de produits biopharmaceutiques incorporent déjà des capacités de test PUPSIT aux lignes de production existantes et intègrent le PUPSIT dans la conception de leurs nouvelles lignes de production en prévision de cette évolution.
L’introduction de la nouvelle annexe 1 entraîne un autre changement important : les entreprises pharmaceutiques devront mettre en œuvre une CSS documentée dans l’ensemble de leurs installations. La CSS doit prendre en compte tous les aspects du contrôle de la contamination et de son cycle de vie, avec une révision permanente donnant lieu à des mises à jour documentées dans le cadre du système qualité. Les nouvelles exigences encouragent la mise en œuvre de technologies innovantes de fabrication stérile.
Claire Hutchison : Pour les entreprises développant de nouveaux process de fabrication ou étant tenu à la mise à niveau de leurs systèmes pour se mettre en conformité, il existe des solutions standardisées déjà disponibles sur le marché qui peuvent être facilement intégrées dans les lignes de fabrication pour faciliter le process. Les assemblages à usage unique prévalidés et conformes aux BPF offrent une solution idéale qui peut être conçue pour des besoins de fabrication sur mesure et fournie entièrement gamma irradiée avec certification de stérilité. Ces systèmes plug and play sont idéaux pour accélérer la mise en place et le remplacement sur les lignes de fabrication, afin d’augmenter la productivité, en utilisant la technologie à usage unique conformément aux grands principes réglementaires afin de réduire les risques.
2. Les changements affecteront-ils la mise sur le marché de nouveaux produits pharmaceutiques dans l’Union européenne et auront-ils un impact sur les essais cliniques en cours ou les demandes d’autorisation de mise sur le marché ?
Claire Hutchison : Ces modifications peuvent avoir un impact de différentes manières sur la mise sur le marché de nouveaux produits pharmaceutiques et sur les essais cliniques en cours ou les demandes d’autorisation de mise sur le marché.
Tout d’abord, l’annexe 1 révisée des BPF comprend de nouvelles exigences relatives à la fabrication de médicaments stériles, pouvant avoir une incidence sur la conception des process de fabrication et la validation de nouveaux produits. Cela pourrait se traduire par des délais plus longs de développement et d’approbation de nouveaux produits pharmaceutiques.
Ensuite, les changements peuvent demander aux fabricants de produits pharmaceutiques des modifications de leurs process de fabrication existants ou de leurs équipements, ayant potentiellement un impact sur les essais cliniques en cours ou les demandes d’autorisation de mise sur le marché. Lorsqu’un fabricant doit modifier son process de fabrication pendant un essai clinique en cours, il peut être nécessaire de suspendre l’essai jusqu’à ce que les changements soient mis en œuvre et validés.
Pour finir, l’annexe 1 révisée des BPF met davantage l’accent sur la gestion des risques et la surveillance environnementale, ce qui peut nécessiter des essais et une documentation plus importants. Les autorités chargées de la réglementation pourraient avoir besoin de plus de temps pour examiner la documentation et s’assurer de la conformité avec les nouvelles exigences, ce qui pourrait allonger les délais d’approbation des demandes d’autorisation de mise sur le marché.
Globalement, l’impact spécifique dépendra des circonstances propres à chaque produit et à chaque application. Il est important que les fabricants et les donneurs d’ordre de produits pharmaceutiques examinent attentivement les nouvelles exigences et évaluent l’impact sur leurs process et délais.
3. Quel sera l’impact sur le coût des produits pharmaceutiques, et cela entraînera-t-il des changements dans les politiques de tarification ou de prise en charge ?
Nicole Hunter : Il est difficile de prédire avec certitude l’impact des modifications de l’annexe 1 des BPF 2022 sur le coût des produits pharmaceutiques, car il dépendra de divers facteurs tels que le type de produit, les process de fabrication concernés et l’ampleur des changements nécessaires pour répondre aux nouvelles exigences.
Cependant, il est probable que leur mise en œuvre nécessitera des investissements dans de nouveaux équipements, de nouvelles technologies et la formation du personnel, ce qui pourrait augmenter les coûts de production. En outre, l’importance accrue accordée à la gestion des risques et à la surveillance environnementale peut nécessiter des procédures d’essai et de surveillance plus rigoureuses, ce qui pourrait également entraîner une augmentation des coûts.
La question de savoir si cette augmentation des coûts entraînera ou non une modification des politiques de tarification ou de prise en charge dépendra des différences entre les pays, de l’état de la concurrence sur le marché, et de la volonté des organismes d’augmenter les prises en charge.
4. Quelles mesures les professionnels du secteur pharmaceutique peuvent-ils prendre pour se préparer à la mise en œuvre des modifications de l’annexe 1, et quelles sont les ressources disponibles pour les soutenir ?
Claire Hutchison : Afin de se préparer à la mise en œuvre de ces changements, les professionnels de l’industrie pharmaceutique peuvent prendre plusieurs mesures :
- Se familiariser : prendre le temps d’examiner attentivement l’annexe 1 révisée des BPF et de comprendre les changements qu’elle contient.
- Effectuer une analyse des écarts : identifier les domaines dans lesquels les process et procédures actuels pourraient ne pas être conformes aux nouvelles exigences. Cela permettra d’identifier les éventuels changements à apporter avant la date limite de mise en œuvre.
- Élaborer un planning de mise en œuvre : ce planning doit comprendre les délais, le personnel nécessaire, et les responsabilités pour chaque tâche.
- Former le personnel : l’ensemble du personnel impliqué dans les process de fabrication doit être informé des changements apportés par l’annexe 1 révisée des BPF et formé aux nouvelles exigences afin de minimiser le risque de non-conformité.
- Tenir compte de la technologie et des collaborations : l’utilisation d’une nouvelle technologie ou la modification d’une technologie existante peut être nécessaire. Les professionnels de l’industrie pharmaceutique doivent veiller à ce que les changements nécessaires soient apportés aux process de fabrication.
- Penser à l’ensemble de la supply chain : l’évaluation des fournisseurs est essentielle pour assurer la conformité. Pour les systèmes à usage unique stériles, la vérification de la garantie de la stérilité doit être effectuée dans le cadre du process de qualification du fournisseur et la preuve de la stérilisation doit être vérifiée à la réception.
- Mener des audits réguliers : des audits réguliers garantiront une conformité sur le long terme et permettront d’identifier rapidement les problèmes éventuels afin de prendre des mesures correctives avant qu’ils ne se transforment en problèmes majeurs.
« L’évaluation des fournisseurs de systèmes à usage unique, y compris la stérilisation, est essentielle pour la sélection et l’utilisation de ces systèmes. Pour les systèmes à usage unique stériles, la vérification de la garantie de la stérilité doit être effectuée dans le cadre de la qualification du fournisseur et la preuve de la stérilisation de chaque produit doit être vérifiée à la réception. »
5. Quels seront les impacts de ces changements sur la supply chain des produits pharmaceutiques et comment pouvons-nous atténuer les éventuelles perturbations ?
Nicole Hunter : Comme pour toute modification des systèmes de fabrication, de nouvelles supply chains peuvent être nécessaires, ce qui peut entraîner des retards dans le process de production. Étant donné qu’il reste moins de six mois pour mettre en œuvre ces changements, les nouveaux fournisseurs devront démontrer que leurs supply chains sont en mesure de répondre à cette demande. Mais ces modifications peuvent également permettre aux fabricants de simplifier et de perfectionner leurs supply chains.
Claire Hutchison : L’incorporation de produits à usage unique préassemblés peut entraîner une réduction du nombre d’éléments requis et une simplification de la supply chain par rapport à la commande de composants distincts et à l’assemblage en interne. Cela permet de réduire les stocks et de faciliter le process de commande pour les fabricants. Également, cela peut entraîner une réduction des déchets, car le fabricant ne commande que les assemblages dont il a besoin, plutôt que des longueurs supplémentaires de tubes ou d’autres composants. La réduction des déchets présente des avantages en termes de coûts et constitue un élément important des entreprises en matière de développement durable.
Conclusion
Il est peu probable que d’autres modifications importantes soient apportées avant la date de mise en œuvre finale d’août 2024, car le document a déjà fait l’objet d’un examen approfondi et d’un processus de révision. Cela dit, des clarifications ou des corrections mineures peuvent être apportées au document pour résoudre des problèmes ou des erreurs. Être à l’écoute de ces changements récents et de toute modification supplémentaire est non seulement vital pour le respect de la réglementation, mais aussi pour aider les fabricants de produits pharmaceutiques à fournir aux patients des médicaments d’une qualité optimale. Les experts en process et en réglementation peuvent fournir des conseils utiles pour faciliter cette transition et des partenariats solides avec les fournisseurs seront essentiels pour renforcer la stérilité des process, à l’échelle mondiale.
Informations sur les autrices
Nicole Hunter est responsable internationale des services de réglementation et de validation chez Watson-Marlow Fluid Technology Solutions (WMFTS). Avant de rejoindre Watson-Marlow, Nicole a occupé le poste de responsable R&D chez Thermofisher Scientific, où elle dirigeait une équipe de chimistes et de microbiologistes chargés de mettre au point des dispositifs de diagnostic in vitro. Elle a obtenu son doctorat dans le domaine de la science des matériaux pharmaceutiques à l’université d’East Anglia, au Royaume-Uni. Nicole possède également une expérience de l’industrie pharmaceutique acquise au sein du département de découverte de médicaments de Pfizer Animal Health. Elle est une membre active de plusieurs groupes de travail et comités industriels, notamment Biophorum, BPSA, ISO et BSI.
Claire Hutchison est une spécialiste expérimentée du secteur des sciences de la vie pour Watson-Marlow Fluid Technology Solutions. Diplômée en sciences biomédicales et travaillant depuis plus de 10 ans dans l’industrie, Claire a acquis une connaissance approfondie des exigences complexes du secteur. Claire a commencé sa carrière dans le domaine des essais cliniques, lui permettant de développer une expertise dans la fabrication de traitements de thérapie cellulaire autologue pour le cancer. Elle est ensuite passée à la fabrication de vaccins, lui assurant une expérience précieuse dans les process de production de vaccins et le contrôle qualité. Passant aux essais de biosécurité, elle a effectué un large éventail d’essais in vitro tout en développant sa compréhension de la sécurité et de la conformité réglementaire dans l’industrie. Tout au long de sa carrière, Claire s’est également concentrée sur la validation des systèmes de gestion de la qualité. Elle est passionnée par le développement de solutions qui améliorent l’efficacité, la qualité, et la sécurité dans le secteur des sciences de la vie.